Le respect de l’ouvrier la maltraitance dans la grande distribution ou lerespectdelouvrier.fr Deuxième partie    LA PEUR La panoplie du manager tyrannique comporte l’éventualité de faire courir des rumeurs  infondées sur tel ou tel employé et par lesquelles « il se pourrait bien que le directeur prenne  une mesure d’exclusion temporaire voire définitive à son encontre ».  Exclusion, le mot est lâché…   « …De toutes les émotions humaines présentes au travail, la peur est sans doute l’une des plus fréquentes et certainement l’une des plus toxiques. » Patrick Légeron La peur, est la toute puissante alliée des dirigeants de la Grande Distribution. Ces personnes  ont intégré depuis toujours que la plus grande inquiétude de leurs employés est de finir à la  rue. Ils en jouent sans aucune retenue.   Personne n’ignore la situation de ces travailleurs, employés et salariés qui dorment sous les  ponts ou dans leur véhicule à Paris et ailleurs.  Alors, ne pas avoir de travail et par conséquent aucune rémunération, imaginer la perspective  du demandeur d’emploi arrivant en « fin de droits », est particulièrement anxiogène.  Etre privé d'un abri, d'un toit au dessus de la tête représente une atteinte insupportable à sa  sécurité personnelle et à celle de ses proches.   Beaucoup de salariés sont acculés, contraints la peur au ventre de se rendre chaque matin sur  leur lieu de travail. On leur a clairement exprimé que la seule solution est d’adhérer au projet  commun, se plier à son organisation, aux maltraitances inhérentes au monde du travail ou être  exclus.   L’engramme de l’exclusion, même s’il n’a pas été vécu personnellement, est solidement ancré  dans le psychisme humain. A un moment ou un autre de sa vie, on se sent ou on est  exclu, ou  on s’exclut  soi-même. C’est toujours une blessure.     « Le discours de l’adaptation prospère sur la peur de l’exclusion. » proclame Damien  Lorton.  Un salarié qui a perdu son emploi du fait d'une démission imposée dans des conditions dont  plus personne ne peut ignorer l'iniquité, peut se retrouver exclue de son logement, exclue des  soins médicaux auxquels elle peut prétendre, être privée de moyens de transports s'il lui  arrivait d'être contrainte de se défaire son véhicule par exemple.   Les services sociaux peuvent répondre aux besoins les plus urgents comme celui de s'abriter  ou se nourrir. Mais guère plus en raison du caractère extrêmement onéreux et donc  nécessairement provisoire que revêt le soutien apporté par les institutions.    Le mobbing dont on parlera plus loin est l'outil principal servant à installer la peur au sein  d'une  Entreprise Grande Distribution s'estimant toujours en guerre contre ses concurrents.  La peur au travail est le résultat d'une situation professionnelle non maitrisée. Elle est très  présente sur tous les lieux d’activité mais plus particulièrement dans la Grande Distribution.  L'employé s'y trouve confronté à chaque moment où il ne domine pas son sujet.  Evidemment, on serait tenté de dire qu'il faut maîtriser  son propos, apprendre de ses erreurs  au lieu de les redouter, pour éviter de retomber dans les mêmes travers.   Tout cela est en fait extrêmement simpliste mais ne peut s'appliquer lorsque l'on est sous  l’effet d’une tension continuelle.   Quand on est confronté à un management archaïque, injurieux, méprisant et dévalorisant de la  personne, comment s’instruire de ses erreurs ? Après une journée épuisante, stressante, passée  à être jugé, surveillé, à craindre la sanction, comment avoir l'esprit ouvert à l'envie  d'apprendre, tout simplement ?  La peur installée dans l'esprit de la victime de maltraitance a pris la place de  la motivation à  se construire. La peur au travail s’appuie sur ce qu’il peut y avoir de pire à vivre  professionnellement et socialement : perdre son boulot.     Cette émotion négative et polluante engendre des réflexes de défense par un repli sur soi, par  l'individualisme. Elle crée aussi de la misère symbolique, au même titre que la  surconsommation.   _______________ Perdre son boulot c’est être socialement déclassé. Le déclassement c'est le renvoi vers une  classe sociale inférieure. Jusqu'à ce qu'un emploi soit à nouveau trouvé et permette donc de  reconquérir l'estime de soi.   Mais perdre son travail c'est également ressentir de l'abandon.  Cette peur de l’abandon renvoie directement à la petite enfance. A plus forte raison lorsque,  durant de longues années, on s’est construit une carrière dans une entreprise, lorsque l'on a  épousé un ou une collègue de travail, qu'on a fondé une famille, bâti sa maison autour de  l'entreprise. Lorsqu'on a intériorisé son emploi à un tel point qu'il est devenu une extension,  un périphérique de soi. Lorsqu'on y a mis tellement de sentiments qu'on en est dépendant  comme l’enfant dépend de sa mère.    Dès qu’il y a licenciement, c’est tout un système dans lequel on avait investit de l’énergie, de  l’affectif, de la vie qui délaisse ses serviteurs.     Qu'ils soient employés de l' Industrie, de la Grande Distribution ou d'une entreprise de  Services, personne n’échappe pas à ce phénomène. Qu'il soit licencié ou qu’il quitte  brutalement son emploi en raison des pressions subies, le salarié est  doublement exclus :      En raison du licenciement et de son ressenti.     Par l'arrêt imposé de l'hyperconsommation.  On n'évoque jamais cette atteinte insupportable à la satisfaction immédiate des pulsions liées  à l'hyperconsommation : « Comment faire pour les cadeaux de Noël, pour le Réveillon ? »,   « Cette année, pas question de partir en vacances comme prévu, on ira chez ta mère ! »  Cette fin d'un consumérisme forcené peut-être vécue comme un sevrage. Il faut adapter ses  dépenses en redéfinissant les postes budgétaires. « Notre ordinateur est en panne. On s’en  paye un nouveau ou on attend le mois prochain ? De toute façon, on déjà les traites de la  bagnole et le frigo est déjà vide. L’ordi attendra.»     La menace de l'atteinte au besoin d'hyperconsommation en  cas de licenciement est présente dans l’esprit de tous les employés, de tous les salariés. La société de consommation a créé sa dynamique propre et ses outrageants besoins d'asservissement des femmes et des hommes. Les effets pervers qui accompagnent cette remise en question sont nombreux.  Pour ne rien perdre de ce qu'était la vie avant cette absence de travail, un pernicieux système  de compensation contre ce type d'exclusion se met en place :  Il est fait de souscription aux diverses formes de crédits à la consommation, de cartes  bancaires à débit différé, de crédit revolv(er)ing, de paiement d’achats par chèques différés.  Cette dernière pratique ayant de plus en plus tendance à se répandre…   Chacun de ces effets, cumulés ou non, amène à l’inéluctable surendettement et à  l’enfermement de ceux qui y sont soumis.   Et puis, la personne vit une nouvelle exclusion. Encore plus forte celle-ci, lorsque surviennent  l’huissier de justice et les déménageurs. Et lorsque la Banque interdit les moyens de paiement  autres que l'argent liquide.   Mais cette peur peut prendre un autre visage. Celui de la solitude. On peut aussi se sentir  exclu au travail. Car dorénavant, on travaille souvent seul. L’activité professionnelle a  considérablement changée lors des dernières décennies. Le taylorisme qui amenait l’ouvrier à  s’intégrer à une équipe, à adhérer à un projet et à le faire socialement, en groupe, a quasiment  vécu. Les succès comme les échecs étaient partagés, dilués au sein de la masse des employés.  Le patronat n’avait que peu d’emprise sur ce qui apparaissait alors comme un bloc, un  monolithe.      Mais le cuisant souvenir du mois de mai 1968 a contraint un patronat, terrorisé par une  réédition du soulèvement populaire, à décollectiviser le travail autant que possible. L’employé  est le plus souvent seul à sa tâche. Devant son ordinateur par exemple, dans d’immenses  «open spaces». Sombres lieux où règne l'espionnite et une lourde atmosphère de défiance. Le  salarié reçoit des consignes auxquelles il ne peut que donner suite. Même si elles lui semblent  aberrantes, dénuées de fondement. Il a aussi régulièrement des comptes à rendre. Si le travail  est bien fait tant mieux. Mais il n’en retire aucune reconnaissance. S’il y a un problème, s’il  ne réussit pas à s’acquitter correctement de sa besogne, il en porte seul le fardeau, la  culpabilité. Charge que ses propres collègues lui feront ressentir par la pesanteur des silences  et des non-dits.  Et ici aussi, la peur ne tarde pas à s’installer. Celle du regard désapprobateur des autres. De  ceux que l’on côtoie au quotidien, qui font le même travail stressant mais dont on ignore  jusqu’au son de la voix. Celle aussi d’un encadrement auquel la technologie offre toute  latitude pour suivre au plus près le travail des “collaborateurs”.     Qui pourrait avoir envie de vivre ça ?