Le respect de l’ouvrier
la maltraitance dans la grande distribution
ou
lerespectdelouvrier.fr
Deuxième partie
DENIS ET STEPHANE
Le management de la Grande Distribution, en raison d’une volonté non dissimulée de réaliser des
économies, a recours à des méthodes indignes pour esquiver des procédures de licenciement parfois
onéreuses. Les insultes pleuvent, les coups tordus aussi.
Denis piégé par la direction, était injustement accusé d'un vol commis au préjudice de l'entreprise.
Tout simplement parce qu'en raison des excellentes ventes réalisées pour l'enseigne, il avait eu
l'audace de solliciter une gratification.
J'avais rencontré Denis à une foire aux vins qu'il animait pour cette enseigne dont je tairai le nom.
Grand, mince, ses cheveux bouclés étaient perpétuellement dans un désordre indescriptible. Les
yeux étaient cerclés de petites lunettes en acier soulignant un regard vif et intelligent. Denis était
animé d'une énergie infatigable.
Etant moi même un amateur immodéré de vins, nous sympathisions très rapidement.
Ce jour là, nous avions dégusté plus que de raison. Bien qu'étant entrés ensemble dans un univers
totalement à l'opposé de sa mission commerciale, je me rendais bien vite compte que mon
interlocuteur possédait un authentique don d'ubiquité intellectuelle. Il parvenait à ne laisser
échapper aucun client, aucune vente si petite soit-elle, quel que fût le profil de la personne. Du
béotien de la chose viticole au fin connaisseur, chacun repartait avec un carton voire deux, ou même
parfois une seule bouteille. Le tout, sans perdre le fil de nos propos décousus.
Il réussissait à vendre des choses improbables comme ce Saint Aubin premier cru dont il ne restait
que deux représentants. Ils se momifiaient paisiblement dans la réserve, vestiges d'une antique
manifestation commerciale.
Rapidement, l'un d'eux tomba au champ d'honneur. La pression montait doucement. Nous hésitions
à culbuter le second, il restait tellement à faire... L'exemplaire désormais unique ne pouvait ni
figurer sur une gondole, ni servir à la dégustation en tant que produit d'appel. Il était cependant
vendu l'après midi même. Exit le Saint Aubin.
Le soir venu, Denis débarquait chez moi. Le repas était simple mais les bouteilles se couchaient les
unes après les autres. Rude journée...
Je découvrais alors un personnage atypique. D'une remarquable intelligence et d'une très grande
culture, il parlait indifféremment littérature, médecine ou philosophie. Quelque part, sommeillait en
lui un authentique humaniste : il ne voyait que le côté lumineux des choses et des êtres.
Il vivait son métier d’animateur dans le plaisir et la satisfaction que pouvait lui procurer un travail,
si dur soit-il. Quel qu’ait put être son état de la veille il commençait ses journées de démonstrateur
vers 06 heures du matin pour les finir bien au delà de 19 heures. Les clients achetaient à tour de
bras. Il était partout. Il gérait tout : les commandes, l'animation, la vente, les relations avec le
personnel et la Direction.
Denis donnait entière satisfaction et revenait à la moindre foire, au plus petit salon.
Un jour pourtant, après avoir tant vendu de bouteilles, de magnums, de cartons, après avoir donné
de son temps personnel au patron de l’enseigne, il s'adressait à la Direction pour obtenir une
modeste compensation.
La réaction ne se faisait guère attendre. Bien vite, un plan d'éradication de l'outrecuidant était mis
sur pied. Il s'agissait de le faire tomber pour vol au détriment de l'enseigne.
Un lot de petits accessoires se retrouvait malencontreusement sur une palette de bouteilles. Denis
les empocha avant de se saisir de la palette pour la replacer en réserve à l'issue de sa journée, tout en
se promettant de remettre ces objets à leur place dès que possible, comme l’aurait fait n’importe
quel employé consciencieux.
Le Directeur surgit dans la réserve entouré de ses prétoriens. Accusant Denis de vol, il le précipitait
hors du magasin en lui disant avec tout le cynisme dont il était capable de ne pas se plaindre car il
aurait pu porter l'affaire en Justice.
Je revoyais Denis quelques semaines plus tard. Il avait changé. Il était aigri et amer. Il s'était mis à
détester la GD (mais qui pourrait l'en blâmer) et cherchait à prendre sa revanche sur le satrape. Sans
succès bien sûr car dans la GD, le méchant gagne toujours à la fin.
Cette histoire véridique illustre la façon dont la Grande Distribution traite ses employés, même les
plus rentables, les plus dévoués, les plus capables. S’ils ne font pas preuve d’un absolu
conformisme, s’ils n’épousent pas précisément les contours de cette orthodoxie du sacrifice et de la
dévotion à l’enseigne, s’ils ne se fondent pas dans l’empreinte avec la plus grande malléabilité, ils
sont impitoyablement régurgités.
Voici un autre cas tout aussi emblématique d’un management dictatorial :
Stéphane travaillait pour la grande distribution dans un secteur alimentaire exigeant des
compétences et une gestuelle particulières. Souriant, affable, heureux d'être là et de travailler, il
n'avait de cesse de servir les clients au mieux. Les commandes qui lui étaient passées étaient
honorées dans les délais et les produits proposés, irréprochables. Même le samedi soir après une
semaine harassante, il souriait au client, à la vie.
Tout comme ses collègues, Stéphane était pleinement qualifié et possédait le diplôme adéquat
délivré par l’Education Nationale. A l'occasion d'une conversation avec les autres employés, il
s'apercevait qu'à qualification égale, il était rémunéré de manière inférieure.
Il se rendait tout naturellement auprès de la Direction et demandait à être revalorisé.
Le lendemain, le staff directorial effectuait une descente dans le local où Stéphane mettait la
dernière main au nettoyage du matériel et des locaux. Dans cette activité spéciale de la GD,
l'hygiène doit être irréprochable. Le directeur s'emparait d'un outil dont Stéphane n'avait pas encore
eu le temps de s'occuper. Puis, se tournant vers lui, il lâcha qu'il était immédiatement licencié pour
faute grave en raison d’un manquement à l’hygiène et au soin apporté à son travail.
Une bonne publicité interne accompagnait cette affaire afin de pacifier tous ceux qui auraient pu
avoir la prétention d’améliorer leur condition.
Ces méthodes iniques et indignes sont couramment employées dans la GD.
Néanmoins, Stéphane a su rebondir. Il travaille maintenant comme boucher dans un pays étranger
où ses qualifications sont réellement prises en compte. Son salaire est passé du simple au double.
La violence a besoin du silence pour se perpétrer.